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"Nous voulons faire du Tchad une 'start-up nation'"

24 avril 2024

Interview avec Succès Masra, Premier ministre du Tchad et en campagne électorale pour la présidentielle du 6 mai.

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L'invité de la semaine est ce matin le Premier ministre du Tchad, Succès Masra. Il est candidat à la présidentielle du 6 mai prochain. La campagne électorale en vue de l’élection présidentielle du 6 mai prochain se poursuit.

Dix candidats sont en lice, dont le président de la  transition, le général Mahamat Idriss Déby Itno, et, donc, son Premier ministre Succès Masra. La candidature de ce dernier est souvent présentée comme un alibi pour l’actuel chef de l’Etat. Pourtant, lui affirme croire en ses chances de l’emporter.

Succès Masra promet, s’il est élu, qu'il va reconsidérer les accords internationaux en vigueur, notamment militaires. Il souhaite ainsi des partenariats décomplexés et affirme par exemple que "la place de l’armée française est en France". Succès Masra insiste aussi sur sa volonté d'agir en faveur de l'éducation et l'emploi des jeunes. Il est interrogé par George Ibrahim Tounkara.

Suivez ci-dessus l'entretien avec Succès Masra

 

DW :  Succès Masra, vous êtes en campagne électorale en vue du scrutin présidentiel du 6 mai prochain. Sur quoi vous mettez l'accent pendant cette campagne électorale ?

Le développement humain. Nous voulons faire en sorte que pour chaque foyer tchadien, il y ait un paquet minimum de dignité et de développement. Et dans ce paquet minimum de développement et de dignité, nous voyons la question de l'éducation.

Dans les milieux ruraux, nous voulons pour chaque village, chacun des 22.000 villages du Tchad, nous voulons avoir une école, avoir un centre de santé, une source d'accès à l'eau, une source d'accès à l'électricité, une unité de transformation des produits locaux. Et ce paquet minimum de développement, si nous le faisons pour les milieux ruraux, c'est déjà 70 % des problèmes, du Tchad en moins.

Au niveau des milieux urbains, il y a l'emploi pour les jeunes. A l'échelle de l'Afrique, ce sont plus de 10 millions de jeunes, mais à l'échelle du Tchad, c'est deux cents milles qui rentrent sur le marché de l'emploi chaque année. Ces jeunes-là, bien formés, qui héritent du chômage et du manque de possibilités de créer leur propre entreprise, nous voulons répondre à leur demande en développement.

La priorité des priorités, c’est l'éducation qui sera élevée au rang de cause sacrée et de première priorité de l'Etat dans le budget, en moyens, en rang protocolaire et inscrite même dans une constitution révisée comme une clause non révisable, parce qu'avec l'éducation, nous pourrions donner aux jeunes générations tchadiennes, les outils de leur propre développement.

"La place de l’armée française, c’est en France"

 

DW :  Quelles sont les réformes majeures que vous préconisez, que vous prônez aujourd'hui pour le Tchad ?

C'est une transformation, une transformation profonde. L'un des drames des Tchadiens, ce n'est pas tant qu'il n'y a pas de ressources humaines, ce n'est pas tant qu'il n'y a pas de compétences, mais c'est parce que les Tchadiens ont été emprisonnés dans un système où jamais ils n’ont choisi leurs dirigeants.

Nous souhaitons que ce soit nous et nous allons implémenter d'abord une méthode. Cette méthode de travail, c'est ce que j'appelle les contrats de performance et de résultats,  faire en sorte que chaque décideur public ait, vis-à-vis de l'Etat et des citoyens, un engagement.

Et puis, au-delà de la méthode de travail, ce sont les priorités que je vous ai évoquées, avec un développement centré sur l'humain et dans ce développement centré sur l'humain, il y a des piliers forts : l'agriculture, l'élevage, l'industrie, l'économie numérique et l'intelligence artificielle, qui sont des outils  du XXI siècle.

Et ensuite, une diplomatie active, économique, mais aussi militaire, équilibrée, qui permettront qu'en travaillant dans les secteurs de l'économie en créant un environnement propice à la création de richesses à travers le secteur privé.

Nous voulons faire du Tchad une "start-up nation", une nation dans laquelle les nouvelles générations ne vont pas seulement pouvoir être embauchée dans la fonction publique, mais pourront avoir un environnement propice pour créer eux-mêmes de la richesse et se prendre en charge.

 

DW :  Est-ce que vous croyez sincèrement en la crédibilité, en la transparence du scrutin du 6 mai prochain, quand on sait que les différentes instances électorales sont sous le contrôle du président Mahamat Idriss Déby ?

Je suis un combattant de la justice et de l'égalité et le peuple tchadien veut la justice et l'égalité et veut le changement.

Sur le terrain, c'est le peuple qui sera la sentinelle de sa propre victoire. C'est avec cette conviction que nous avançons, avec cet état d'esprit-là, bâti sur ces cinq, six dernières années. Je fais confiance au peuple d'être la propre sentinelle de sa victoire.

 

DW :  Comment voyez-vous la coopération entre le Tchad et les pays occidentaux, notamment la France, au moment où la Russie accroît son influence dans la région?

Je suis un patriote, pro-Tchad, pro-Afrique et ouvert à travailler avec l'ensemble des différents pays.

Notre détermination, en tant que jeunes Africains décomplexés, c'est d'inscrire chaque partenariat sur des défis du XXIe siècle, sur les attentes de nos populations. Aujourd'hui, nos populations veulent des partenariats qui seront des partenaires de dignité, sans condescendance, sans volonté de domination.

 

DW :  Pour vous, l'armée française n'a rien à faire au Tchad ?

Il faut regarder ces partenariats dans la dimension globale, la dimension sécuritaire. Il y a des choses qui doivent changer. La place de l'armée française. Les Français eux-mêmes le savent : sa place, c'est en France.

Il y a quelque chose qui, quelque part, peut faire perdre un peu de la dignité même à l'armée française, qui apparaît comme chassée d'un pays à un autre.

Nous devons être capables de bâtir des partenariats nouveaux, qui sont des partenariats où nous pouvons renforcer ce sur quoi nous avons des forces en commun et dépoussiérer ces relations-là, des symboles qui ne sont pas des symboles qui peuvent continuer à rester ad vitam aeternam.

Et dans cet ordre-là des choses, l'efficacité ne va pas forcément de pair avec une présence militaire ad vitam aeternam. Nous devons être capable ainsi de travailler ensemble avec tout le monde, mais sur des nouvelles bases qui auront à cœur de préserver la dignité et d'enlever les symboles indéfendables dans le XXIe siècle.