La Russie va-t-elle se retirer de la Syrie pour la Libye ?
20 décembre 2024La base navale de Tartous et la base aérienne à Hmeimim sont les deux emprises militaires importantes de la Russieen Syrie.Tartous est la seule base navale officielle de la Russie en dehors de l'ancien territoire soviétique et la présence russe s'y est développée avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie, en 2022, afin de " contrer, dissuader et surveiller toute opération de l'OTAN en Méditerranée", selon l'Institute for the Study of War (Institut pour l'étude de la guerre).
Hmeimim est utilisé pour sa part comme poste logistique et de transit pour les activités russes en Afrique et est passé sous contrôle de Moscou peu après l'entrée de la Russie dans la guerre civile syrienne.Depuis la mi-décembre, ce sont les personnes que les Russes bombardaient autrefois qui dirigent la Syrie.
Déplacement vers la Libye ?
Jusqu'à présent, les islamistes qui ont pris le pouvoir et Moscou se sont toutefois montrés très pragmatiques et ont négocié, selon Nanar Hawach, analyste principal pour la Syrie au sein du groupe de réflexion International Crisis Group.
"Les forces de HTS protègent les convois russes qui se rendent à Lattaquié, à la base de Tartous, à la base navale et à la base aérienne, et ces convois sont protégés par HTS tout comme les bases", précise l'expert tout en rappelant que "la Russie a joué un rôle très important dans la lutte contre les combattants de HTS".
Une situation qui rend la future présence militaire de la Russie en Syrie potentiellement problématique. Le Wall Street Journal, citant des responsables américains et libyens anonymes, a récemment rapporté que la Russie transférait des systèmes de défense aérienne et d'autres armes de pointe de la Syrie vers des bases qu'elle contrôle en Libye.
Les analystes soulignent des signes tels que le retrait de matériel militaire de valeur de Syrie et la suspension par la Russie des exportations de blé vers la Syrie au cours des dernières années, la Russie a été le principal fournisseur de la Syrie.
Ils affirment également que l'endroit où les navires russes de Tartous finiront par accoster sera un indicateur important pour savoir s'ils resteront en Libye - surtout s'ils se dirigent vers le port libyen de Tobrouk.
Des spéculations
Pour l'instant, il ne s'agit que de spéculations, selon Jalel Harchaoui, politologue et spécialiste de la Libye au Royal United Services Institute for Defense and Security Studies (RUSI), au Royaume-Uni.
Selon lui, que les Russes restent en Syrie ou qu'ils s'en aillent, certains faits incontestables changeront la manière dont ils opèrent en Syrie.
Wolfram Lacher, associé principal et expert de la Libye à l'Institut allemand pour les affaires internationales et de sécurité, insiste sur le fait que même s'il y a encore beaucoup d'incertitudes, si les bases syriennes deviennent plus précaires pour la Russie, la Libye prendra plus d'importance. Ce qui n'est pas rassurant pour l'Occident.
"Bien sûr, les Russes veulent une base navale en Libye depuis un certain temps, depuis plusieurs années maintenant, et c'est une source d'inquiétude, ou peut-être la principale source d'inquiétude américaine, lorsqu'il s'agit de la Libye", assure l'expert.
Selon lui, les Américains n'ont cessé pour cette raison de courtiser Khalifa Haftar qui contrôle une partie de la Libye, afin de ne pas laisser le pays aux Russes.
L'objectif : le persuader que maintenir ses relations avec les Etats-Unis et les gouvernements occidentaux est bénéfique pour lui et qu'il mettrait en danger ces relations s'il devait permettre aux Russes d'établir une base navale.
Une menace pour l'OTAN
Depuis 2014, la Libye est divisée en deux, avec des gouvernements opposés situés à l'est et à l'ouest du pays. Une administration soutenue par l'Onu, connue sous le nom de Gouvernement d'unité nationale, se trouve à l'ouest, et sa rivale, connue sous le nom de Chambre des représentants, est basée à l'est, à Tobrouk. Cette dernière est soutenue par l'ancien chef de guerre devenu homme politique, Khalifa Haftar, qui contrôle divers groupes armés dans cette région.
A plusieurs reprises au cours de la dernière décennie, chaque gouvernement a tenté - et échoué - de prendre le contrôle de l'autre, mais le conflit est actuellement dans l'impasse, ce qui se traduit par une sécurité précaire.
"Au cours des dernières années, ces factions libyennes ont été enfermées dans une impasse qui a permis à leur pays de rester à l'abri d'un conflit majeur, mais qui dépendait largement de deux puissances étrangères disposant d'importantes forces militaires sur le terrain, la Russie et la Turquie", explique Frederic Wehrey, chercheur principal du programme Moyen-Orient à la Fondation Carnegie pour la paix internationale.
Selon lui "la chute d'Assad [...] pourrait affecter ce fragile équilibre", il affirme également que le conflit gelé de la Libye pourrait potentiellement suivre la même voie que celui de la Syrie.
Cela pourrait dépendre de la prochaine action de la Russie.Si la Russie convainc Haftar de lui permettre d'établir une base plus permanente en Libye, cela représenterait un défi majeur pour l'Otan.
Les événements actuels placent donc Khalifa Haftar dans une position très difficile, selon Wolfram Lacher.
A en croire le journal britannique The Telegraph, la Russie a renforcé les pistes et les défenses périmétriques des bases aériennes libyennes, construit de nouvelles structures et livré des armes.